AccueilA la uneGardiennage : Les croustillantes confidences des veilleurs de nuit

Gardiennage : Les croustillantes confidences des veilleurs de nuit

Non affiliés à une société de gardiennage, les veilleurs de nuit vivent parfois le calvaire. Ne disposant pas d’armes de défense ou d’autodéfense, ils risquent chaque nuit, leur vie face à des malfaiteurs. L’Obs a recueilli les confidences et anecdotes de certains d’entre eux.

Le visage taillé à la serpe, les yeux tirés, Ibrahima Diatta affiche une mine lasse, malgré le sourire figé qui barre son visage. Sur une chaise en caoutchouc, Ibrahima est assis devant une maison sise au Point E (Dakar). Il est le gardien de ce domicile implanté en face du siège du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct). Agé de 60 ans, la taille moyenne, c’est lui qui assure la sécurité de cette maison appartenant à un notaire. L’horloge affiche 20 heures et Ibrahima est déjà à son poste. Cheveux grisonnants, la masse trapue par la fatigue, il guette la moindre présence suspecte. Mais son boulot n’est pas de tout repos. «Le métier de gardiennage n’est pas compatible avec mon âge. Ce métier est trop risqué et il demande de la force. Alors que je n’ai plus la robustesse de mes 20 ans.» Le ton posé, le vieil Ibrahima dit être obligé de faire ce job. «Parce que, sanglote-t-il, «je n’ai pas de fils pour m’aider à gérer ma famille. Je n’ai que des filles qui sont toutes mariées.» Gardien de maison depuis plus d’une dizaine d’années, l’habitant de Grand-Dakar passe des nuits blanches devant le portail de cette maison pour un salaire mensuel de 100 000 F Cfa. Un montant qu’il juge acceptable, même s’il déplore un petit manquement. «Je suis bien payé, mais la seule chose que je déplore, c’est le non paiement de primes de sommeil», souffle-t-il. Ce vieux fait partie de ces gardiens de maison qui ne sont affiliés à aucune société de gardiennage et qui ne disposent pas, pour la plupart, d’armes à feu, faute de permis de port d’arme. Une situation qui les met souvent en danger face aux malfaiteurs. Des crapules véreuses et sans empathie qu’Ibrahima a dû affronter un soir de mauvaise lune. Il se remémore, le sourire crispé. «Une nuit, un groupe de jeunes garçons m’a trouvé assis devant la porte vers 1h du matin et m’a attaqué avec une bombe à gaz. Je me suis évanoui et ils en ont profité pour voler un des moutons de race de mon patron. Je ne me suis réveillé que le lendemain, totalement assommé et dans les vapes. Ce petit incident m’a coûté une semaine au lit. Là, j’ai réalisé que je n’étais vraiment pas fait pour ce métier», se souvient-il, l’air affligé. Ibrahima qui a eu du mal à se remettre de cette affreuse soirée, n’était pas au bout de ses peines. Passé l’évanouissement et l’asthénie, il a dû faire face au courroux et à l’incrédulité de son patron. «Il m’a convoqué pour des explications, mais quand je lui ai donné ma version, il n’a pas voulu me croire et a menacé de me poursuivre en justice. J’ai dû le supplier à genoux pour qu’il capitule et accepte de me laisser à mon poste.» Une épreuve douloureuse pour Ibrahima, dont la dignité a pris un sacré coup. Mais il a dû faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Par devoir pour sa famille.

«Attaqué à la bombe à gaz par des malfaiteurs, je me suis réveillé le lendemain, totalement dans les vapes»

Biram Ngom, la trentaine, exerce le métier de gardien depuis 2017. Maçon de profession, l’originaire de Pout (Thiès) s’est reconverti gardien pour mieux gagner sa vie, après 14 ans de maçonnerie. «Ce métier ne me rapportait rien et j’ai opté pour le gardiennage, moyennant 90 000 F Cfa, le logis et la nourriture.» Devant la porte d’une maison à Mermoz (Dakar), Biram a les yeux bouffis de sommeil, mais il n’ose fermer l’œil. Pour lui, ce n’est pas facile d’assurer la sécurité d’une maison pendant la nuit. Parce que, confie-t-il, c’est le moment opportun choisi par les voleurs et agresseurs pour commettre leurs méfaits. «On assiste parfois à une recrudescence des cas de vols ou d’agressions. Surtout en cette période de froid. Et c’est à ce moment que le métier de gardiennage présente beaucoup de risques pour les gens qui ne sont affiliés à aucune société de gardiennage, parce qu’ils travaillent sans équipement ni armes à feu. Comme moyen de défense, nous n’avons que des gourdins et des cannes. Il faut être courageux et mystique pour faire ce métier», déplore Biram. Le jeune homme garde en mémoire, cette nuit où, essoré après une nuit de service interminable, il est rentré dans ses quartiers pour se reposer et profiter de sa douce. «La nuit était calme. Il était 5 heures du matin et je m’étais retiré dans ma chambre avec mon épouse. Nous étions sur le point de nous mettre au lit quand subitement, j’ai entendu du bruit dans la cour. D’instinct, je suis sorti du lit, oubliant que j’étais presque nu et me suis lancé à la poursuite du voleur. N’eut été la promptitude de mes voisins qui m’ont lancé une serviette, j’allais exposer ma nudité aux yeux de tous.» Le voleur, n’a dû son salut qu’à la vélocité de ses jambes, mais a laissé un fou rire général à Biram et ses voisins.

«J’ai échappé à une mort certaine»

Le vieux Pape Sarr, lui, est un habitué du métier. Fourré dans un grand pull-over gris, une torche et une canne entre les mains, il effectue des allers et retours devant une maison située aux Hlm Grand-Yoff, en face du stade Léopold Sédar Senghor. Le quinquagénaire veille à la sécurité de la propriété, au moment où les occupants de la villa s’apprêtent à rejoindre les bras de Morphée. Il est presque seul dans ce coin où l’atmosphère est glaciale. «J’exerce ce métier depuis plus de dix ans et j’ai plusieurs fois assisté à des faits qui font très peur. N’eût été mon courage, j’allais abandonner depuis longtemps. Chaque jour, on peut être attaqué par des malfaiteurs, alors qu’on n’a pas les moyens de nous défendre», confie M. Sarr. Avant de se rappeler péniblement cette nuit où des voleurs l’avaient agressé pour cambrioler un magasin sous sa surveillance. «Cette nuit-là, les voleurs étaient déterminés à défoncer le rideau métallique du magasin. Ils ont commencé à jeter des pierres sur le portail du garage pour me faire quitter mon poste. Je me suis caché et ils ont commencé leur sale besogne.» C’est le moment choisi par Pape pour ameuter le voisinage. «Ils se sont enfuis en tirant en l’air. J’ai échappé à une mort certaine. J’ai été atteint par une balle, mais heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Mais, j’ai eu la peur de ma vie. Cet événement m’a beaucoup traumatisé», relate Pape Sarr qui, malgré les risques et son âge avancé, ne compte pas abandonner le métier. Car, dit-il, «je suis obligé de travailler pour envoyer de l’argent au village. «C’est trop risqué, mais ce que je gagne ici, je ne peux l’avoir ailleurs. J’ai un salaire de 95 000 F Cfa, sans compter la somme que je perçois pour la surveillance des magasins.» Si Pape Sarr a failli y laisser sa vie, Mamadou Diouf, lui a failli perdre son poste à cause d’une histoire de cœur. Gardien de maison d’un homme d’affaires depuis 2007, le quadragénaire ne cesse de regretter ce jour où il s’est battu avec son ami gardien à cause d’une fille dont ils se disputaient les faveurs. «Je sortais avec une fille et mon ami a voulu me la voler. Mis au parfum de l’affaire, je suis allé le régler à coups de poings. Mon patron a failli me limoger. Si ce n’était l’intervention de son épouse, j’allais perdre mon job», regrette Mamadou Diouf. Pour les beaux yeux d’une nymphe.

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